27 novembre 2013

Comment on fabrique des Mohammed Merah

Les attaques récentes contre des militaires à l’arme blanche en Angleterre et en France, les émeutes de Stockholm qui nous rappellent celles des banlieues et quartiers sensibles en France et ailleurs, viennent témoigner des difficultés partout en Europe de l’intégration des populations immigrées.
Ces difficultés d’intégration se traduisent régulièrement par des actes violents qui retiennent l’attention des médias dans la rubrique du terrorisme, du Jihad, de la mouvance Al-Qaïda dont se réclament nombre de protagonistes. Pourtant, ce faisant, on se focalise sur la forme spectaculaire de ces actions en passant à côté de la problématique de fond qui est celle de l’échec de l’intégration d’une partie des populations immigrées.
Très symptomatique de cette focalisation, un reportage pourtant très fouillé diffusé à la télévision sur l’environnement familial et le parcours chaotique de Mohammed Merah, oubliait pourtant d’évoquer ses deux tentatives d’intégrer l’armée.
Car il faut retenir que pour Mohammed Merah comme pour Djamel H., arrêté au Mali parmi les combattants rebelles et qui a grandi à Grenoble, leur adhésion à la mouvance islamiste radicale intervient après l’échec de tentatives d’insertion professionnelle : Mohammed Merah ayant essayé à deux reprises d’intégrer l’armée d’abord, la Légion Etrangère ensuite, Djamel H. ayant par deux fois également vu échouer sa candidature d’auxiliaire de sécurité à Grenoble.
Ces deux situations font écho aux difficultés que j’ai pu observer chez des jeunes issus de l’immigration accueillis en hébergement d’urgence à Grenoble, et chez l’un d’entre eux en particulier avec qui j’ai eu plusieurs conversations. J’ai été frappé par les similitudes entre l’histoire familiale de ce jeune et celle de Mohammed Merah : une famille éclatée touchée par le chômage et la précarité, un père absent, une mère en retrait dépassée par ses responsabilités (voir la question de la places des femmes), un garçon qui a grandit sans repères d’autorité, abandonné à ses envies et à la dynamique des bandes du quartier, cherchant dans la confrontation à la loi, aux adultes, entre bandes, à trouver les limites que leur environnement familiale n’a pas su leur transmettre. Ce jeune du coup envisageait l’engagement dans l’armée comme ultime planche de salut, pour sortir de la galère et toucher au Graal d’une possible insertion sociale.
S’ils échouent dans cette quête c’est entre autre parce que leurs comportements sont trop inadaptés pour permettre une intégration dans un groupe. Ayant été habitués à une liberté trompeuse, à la débrouille, à l’argent facile et aux dérives qui vont avec, ils ont d’énormes difficultés pour supporter la moindre contrainte, pour respecter les règles des collectivités qui pourraient leur venir en aide. Ainsi dans les Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) qui ont cette mission, ce type de jeune repart souvent à l’aventure aux premiers rayons de soleil. Il faut beaucoup de temps pour construire un individu qui a grandi sans repères et un travail éducatif efficient ne démarre souvent que quand les galères répétées, la rue, la prison, les déboires sentimentaux et familiaux, produisent une forme d’épuisement qui facilite l’adhésion à un cadre reconstructeur.
L’autre difficulté et pas des moindres, c’est que pour accepter sur le moyen terme les frustrations et contraintes qui permettent de construire une vie sociale normale, encore faudrait-il qu’il y ait des perspectives tangibles d’une intégration positive, d’un travail, d’un revenu, d’une accession aux biens de consommation, toutes choses rendues presque illusoires par le chômage de masse dont les jeunes sont les premières victimes. Sans ces possibilités d’intégrer durablement le marché du travail, les contrats aidés auxquels ils sont abonnés sont vidés de leur sens, ils ne peuvent plus jouer leur rôle de sas temporaire. Mais surtout cette pénurie de travail qui les touche très fortement prive l’ensemble de la société d’un formidable outil d’intégration sociale de deuxième chance, nombre d’entre eux pourraient en effet trouver dans le monde de l’entreprise un environnement humain favorable à leur construction de jeune adulte dans laquelle leur environnement familial a échoué.
C’est ce peu de perspectives et la succession des beaux discours de tous bords mais qui n’ont jamais permis de réduire sérieusement le chômage des jeunes, qui conduit toute une génération de jeunes à un profond découragement, et pour certains à prendre la seule voie qui ose s’en prendre radicalement à ce "système occidental" qui les exclu, une voie qui leur offre à la fois une forme de sens à leurs malheurs et la possibilité de canaliser frustrations et violences : le djihad.

C’est dire que nous ne réglerons pas le problème du terrorisme par le seul moyen de nos forces armées et de sécurité, seule l’intégration de tous au « banquet » qui passe notamment par la fin du chômage des jeunes serait susceptible de traiter à la fois les effets et les causes endogènes de cette violence. 

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