Conflits
sur le voile ou à propos de la nourriture halal, place faite aux femmes,
développement de l'islamisme, terrorisme et djihad, attentats meurtriers
interconfessionnels… il n'est pas de semaine sans que le monde musulman se
place au cœur de notre actualité, rendant nécessaire pour qui veut décrypter ce
qui se joue là d'aller regarder la partie immergé de l'iceberg et qui concerne
tout de même prés d'un quart de la population mondiale, 7,5% de la population
française et d'abord de s'interroger sur la genèse du Coran, cette référence
absolue qui semble guider la vie la plus
intime des musulmans.
Le
Coran
Ce
qui frappe de prime abord c'est la forte tradition conquérante et guerrière des
leaders de l'islam à commencer par le premier d'entre eux, le prophète Mahomet qui à la tête d'une puissante armée s'est lancé à la conquête de nouveaux
territoires, un esprit guerrier partagé par ses successeurs mais qui alimentera
aussi d'interminables guerres de succession à l'origine notamment des rivalités
entre Chiites et Sunnites facteur de conflits meurtriers encore aujourd'hui.
Cet
esprit guerrier placera le "livre" au cœur d'une ambition politique
visant à rassembler des peuples issus de cultures et traditions disparates, ainsi
le Calife Huthman, second successeur de Mahomet aura à cœur pour sauver la "communauté"
qui se dispute sur l'interprétation du Coran, d'imposer "sa" version
qui deviendra la vulgate canonique de l'ensemble du monde musulman, et il
prendra soin de faire détruire définitivement les versions concurrentes. Accusé
de despotisme il sera assassiné ce qui en dit long sur la dimension plus
politique que spirituelle de ceux qui ont influencé le choix de la version du
livre "guide".
C'est
ensuite en 685, soit 50 ans après la mort de Mahomet que le Calife Abd
Al-Malik, qui met fin à 12 années de guerre civile, fait développer une version
enrichie du Coran qui jusque là ressemblait davantage à un "aide-mémoire",
sous une forme d'écriture primitive et squelettique, sans ponctuation ni
voyelles.
On
le voit, tout comme pour la bible des chrétiens, le message divin inspiré à Mahomet est passé par toute sorte de filtres réducteurs, ceux d'abord de la
transmission orale forcément dépendante de la capacité des récepteurs à
comprendre toute la subtilité de l'inspiration originelle, ensuite ceux,
politiques, imposés par les ambitions de "commandeurs des croyants"
soucieux d'asseoir leur pouvoir dans un contexte d'intenses rivalités
guerrières, et qui n'ont pas hésité à détruire différentes variations existantes
par volonté d'imposer une vérité unique et incontestable ne prêtant pas à
contestation, enfin le filtre linguistique lorsqu'il s'est agit de
"moderniser" le texte primitif par une rédaction plus précise. Au
final on retrouve une volonté de construire au fil du temps, à partir d'un
message "inspiré" transmis oralement par le prophète à quelques
compagnons, un écrit unique laissant le moins de champ possible à des
interprétations divergentes et "sacralisé"
par le dogme de l'inimitabilité qui le
définit comme parfait (car œuvre
divine), et donc absolument inimitable dans son sens comme dans sa forme. Difficile
dans ce contexte d'effectuer avec le Coran un travail d'exégèse comparable par
exemple à celui entrepris par la psychanalyste Marie Balmary qui apprendra
l'hébreu et le grec ancien pour chercher dans les textes chrétiens d'origine un
sens débarrassé des lissages de plusieurs siècles de pouvoirs religieux ambigus
et de traducteurs médiocres.
Peut on dès lors espérer que l'étude des manuscrits de Sana'a retrouvés en 1972 au Yémen et
considérés par certains comme la plus ancienne
version existante du Coran puisse permettre une
vraie exégèse qui ouvre et libère une pensée par trop enfermée dans des enjeux politiques surannés ?
Des autorités religieuses très liées au pouvoir politique
Cet enjeu politique est d'ailleurs également puissamment présent dans
l'organisation de la guidance spirituelle de la tradition sunnite (90% des
musulmans) qui veut qu'il n'y ait pas de clergé intermédiaire entre Dieu et les
croyants. Le Calife, détenteur du pouvoir politique est "commandeur des
croyants" et nomme à ce titre les muftis qui ont l'autorité pour émettre
des avis juridiques. Les imams qui
dirigent la prière sont, quand à eux, choisis par l'autorité politique et formés
selon des filières propres à chaque pays, mais parfois inexistantes !
C'est cette possibilité offerte à n'importe quel croyant sur la
base d'une lecture littéraliste du Coran et d'une légitimité à l'interprétation
fondée sur le seul critère de sa foi et coupée de toute obligation à suivre un
enseignement érudit, qui a contribué au développement d'un islamisme radical conduit
par de jeunes imams bien éloignés de la sagesse et du recul que l'on attend
d'un guide spirituel.
Un phénomène dont on a tardivement pris conscience en Europe en
général et en France en particulier et qui a facilité l'utilisation des
mosquées pour canaliser vers un islam radical les frustrations des jeunes
musulmans. Mais ce phénomène ne doit pas nous exonérer de considérer les
racines de ces frustrations et la responsabilité majeure des politiques
libérales, prolongement du colonialisme, qui, non content de ses pillages confiscatoires
et scandaleux au plus grand mépris des populations partout sur la planète, produit
une exclusion massive qui frappe chez nous au premier chef les jeunes immigrés
majoritairement de tradition musulmane. C'est également l'hyper-puissance économique,
politique, culturelle, militaire, financière, technologique de l'occident, utilisée
jusque dans les plus salles "combines" pour conserver ses intérêts et avantages en ne
prêtant qu'une attention de façade aux protestations des populations malmenées
et tenues à l'écart du banquet, qui ne laisse plus que la voie du
"cutter" (attentats du 11 septembre) ou de la ceinture d'explosif
pour que s'exprime la frustration des laissés-pour-compte. Ainsi l'islam et sa
tradition guerrière, aussi archaïque et outrancière soit-elle, apparaît-il
aujourd'hui comme la seule force qui s'oppose à l'hyper-puissance occidentale. Sa
rigidité morale offre un repère qui contre balance l'amoralité de bien des
conduites occidentales et rassemble une part des immenses frustrations générées
par le libéralisme sauvage.
Conflit Chiites – Sunnites
Les chiites sont les partisans du califat d'Ali qui appartient à
la famille du prophète mais qui ayant une approche plus religieuse de la
succession a été mis en faiblesse par rapport aux candidats plus politiques qui
ont mené des guerres conquérantes brutales et imposé la dynastie des Omeyades,
verrouillant la succession en instituant la filiation comme voie de désignation
du Calife. La mort d'Hussein, fils d'Ali, dans un dernier combat pour tenter de
défendre la légitimité des chiites au califat est encore célébrée de nos jours
et alimente cette culture "d'éternels persécutés" propre à cette
communauté.
Et bien que les chiites représentent moins de 10% des musulmans de
la planète, leur conflit avec les sunnites alimentent fortement les tensions internes du monde
arabe. C'est d'abord l'Iran, chiite à 90% qui défend partout où cela est
possible la place de sa communauté dans un conflit d'influence radicalisé avec
l'Arabie Saoudite sunnite. Des luttes d'influences extrêmement complexes qui
mêlent communautarisme religieux et ambitions politiques sur fond de manne
pétrolière, et mettent à feu et à sang l'Irak où les chiites qui représentent
60% de la population ont longtemps été écartés du pouvoir, la Syrie où le clan Assad
qui appartient à une branche dissidente des chiites impose son pouvoir
dictatoriale à une population à 83% sunnite.
L'Indonésie : exemple d'islam apaisé ?
Il est intéressant pour conclure ce rapide tour d'horizon
d'observer l'Indonésie, plus grand pays musulman du monde, qui malgré quelques tensions récurrentes
alimentées par les partisans d'un islam radical, offre un exemple de pratiques
inter communautaires plus tolérantes que l'on doit à la fois aux
principes politiques du pays d'ouverture à l'humanisme et à la démocratie, ainsi
qu'à la séparation entre politique et religieux puisque malgré la très forte
domination (88%) de la population musulmane il n'y a pas de religion d'état
et que six religions sont autorisées. C'est aussi le poids dominant d'un islam
"traditionnel" ancré dans la vie des campagnes qui contribue à cette
situation "apaisée" qui
pourrait être en lien avec l'origine pacifique de son arrivée et de sa
propagation sur le territoire indonésien.
Au final de ce bref balayage se forge l'image d'un monde musulman
enfermé dans un "livre socle" dont le contenu a été considérablement
contrôlé, amendé, verrouillé par un
pouvoir bien plus politique et guerrier que religieux. Et qu'il serait temps
que s'ouvre à partir des textes anciens récemment retrouvés une exégèse ambitieuse, débarrassée des
pressions des pouvoirs politiques empêtrés dans des querelles et "guerres de
religions" meurtrières aussi archaïques que vaines. Sans doute faudra t'il
encore du temps, beaucoup de temps, pour que s'apaisent les frustrations de
populations musulmanes longuement humiliées et maltraitées par le joug colonial
et la morgue de la domination économique occidentale, et dont la politique Israélienne
cristallise prolonge et démultiplie les effets, et pour que les progrès de la
démocratie et d'un mieux être économique "désamorcent" les tensions et contribuent à l'émergence
d'une vraie pensée de sagesse.
Ici comme ailleurs s'illustre l'incontournable chemin
d'individuation qui, pour les peuples, les communautés, comme pour les
individus, passe d'abord par l'acquisition de la liberté "d'être ce que
l'on est" (fin des dominations oppressives extérieures) puis par un long
et difficile apprentissage de l'usage de la liberté, qui souvent confisquée
dans un premier temps par quelques ambitieux autocrates, évolue au fil des exigences et pressions des populations vers un partage plus large des pouvoirs et
richesses. Il est a remarqué pour conclure que la place faite aux femmes est
souvent un indicateur pertinent pour discerner le degré de maturité d'une
société sur ce chemin là, et que si les sociétés musulmanes ont ici quelques
retards sur nous, regardons les avec toute l'indulgence qu'impose le vaste
chemin qu'il nous reste, nous aussi, à parcourir dans cette voie là.
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