27 février 2014

Les chemins de progrès et d'individuation de l'Islam

Conflits sur le voile ou à propos de la nourriture halal, place faite aux femmes, développement de l'islamisme, terrorisme et djihad, attentats meurtriers interconfessionnels… il n'est pas de semaine sans que le monde musulman se place au cœur de notre actualité, rendant nécessaire pour qui veut décrypter ce qui se joue là d'aller regarder la partie immergé de l'iceberg et qui concerne tout de même prés d'un quart de la population mondiale, 7,5% de la population française et d'abord de s'interroger sur la genèse du Coran, cette référence absolue qui semble guider  la vie la plus intime des musulmans.
Le Coran
Ce qui frappe de prime abord c'est la forte tradition conquérante et guerrière des leaders de l'islam à commencer par le premier d'entre eux, le prophète Mahomet qui à la tête d'une puissante armée s'est lancé à la conquête de nouveaux territoires, un esprit guerrier partagé par ses successeurs mais qui alimentera aussi d'interminables guerres de succession à l'origine notamment des rivalités entre Chiites et Sunnites facteur de conflits meurtriers encore aujourd'hui.
Cet esprit guerrier placera le "livre" au cœur d'une ambition politique visant à rassembler des peuples issus de cultures et traditions disparates, ainsi le Calife Huthman, second successeur de Mahomet aura à cœur pour sauver la "communauté" qui se dispute sur l'interprétation du Coran, d'imposer "sa" version qui deviendra la vulgate canonique de l'ensemble du monde musulman, et il prendra soin de faire détruire définitivement les versions concurrentes. Accusé de despotisme il sera assassiné ce qui en dit long sur la dimension plus politique que spirituelle de ceux qui ont influencé le choix de la version du livre "guide".
C'est ensuite en 685, soit 50 ans après la mort de Mahomet que le Calife Abd Al-Malik, qui met fin à 12 années de guerre civile, fait développer une version enrichie du Coran qui jusque là ressemblait davantage à un "aide-mémoire", sous une forme d'écriture primitive et squelettique, sans ponctuation ni voyelles.
On le voit, tout comme pour la bible des chrétiens, le message divin inspiré à Mahomet est passé par toute sorte de filtres réducteurs, ceux d'abord de la transmission orale forcément dépendante de la capacité des récepteurs à comprendre toute la subtilité de l'inspiration originelle, ensuite ceux, politiques, imposés par les ambitions de "commandeurs des croyants" soucieux d'asseoir leur pouvoir dans un contexte d'intenses rivalités guerrières, et qui n'ont pas hésité à détruire différentes variations existantes par volonté d'imposer une vérité unique et incontestable ne prêtant pas à contestation, enfin le filtre linguistique lorsqu'il s'est agit de "moderniser" le texte primitif par une rédaction plus précise. Au final on retrouve une volonté de construire au fil du temps, à partir d'un message "inspiré" transmis oralement par le prophète à quelques compagnons, un écrit unique laissant le moins de champ possible à des interprétations divergentes et  "sacralisé" par le dogme de l'inimitabilité qui le définit comme parfait (car œuvre divine), et donc absolument inimitable dans son sens comme dans sa forme. Difficile dans ce contexte d'effectuer avec le Coran un travail d'exégèse comparable par exemple à celui entrepris par la psychanalyste Marie Balmary qui apprendra l'hébreu et le grec ancien pour chercher dans les textes chrétiens d'origine un sens débarrassé des lissages de plusieurs siècles de pouvoirs religieux ambigus et de traducteurs médiocres.
Peut on dès lors espérer que l'étude des manuscrits de Sana'a retrouvés en 1972 au Yémen et considérés par certains comme la plus ancienne version existante du Coran puisse permettre une vraie exégèse qui ouvre et libère une pensée par trop  enfermée dans des enjeux politiques surannés ?
Des autorités religieuses très liées au pouvoir politique
Cet enjeu politique est d'ailleurs également puissamment présent dans l'organisation de la guidance spirituelle de la tradition sunnite (90% des musulmans) qui veut qu'il n'y ait pas de clergé intermédiaire entre Dieu et les croyants. Le Calife, détenteur du pouvoir politique est "commandeur des croyants" et nomme à ce titre les muftis qui ont l'autorité pour émettre des avis juridiques. Les imams qui dirigent la prière sont, quand à eux, choisis par l'autorité politique et formés selon des filières propres à chaque pays, mais parfois inexistantes !
C'est cette possibilité offerte à n'importe quel croyant sur la base d'une lecture littéraliste du Coran et d'une légitimité à l'interprétation fondée sur le seul critère de sa foi et coupée de toute obligation à suivre un enseignement érudit, qui a contribué au développement d'un islamisme radical conduit par de jeunes imams bien éloignés de la sagesse et du recul que l'on attend d'un guide spirituel.
Un phénomène dont on a tardivement pris conscience en Europe en général et en France en particulier et qui a facilité l'utilisation des mosquées pour canaliser vers un islam radical les frustrations des jeunes musulmans. Mais ce phénomène ne doit pas nous exonérer de considérer les racines de ces frustrations et la responsabilité majeure des politiques libérales, prolongement du colonialisme, qui, non content de ses pillages confiscatoires et scandaleux au plus grand mépris des populations partout sur la planète, produit une exclusion massive qui frappe chez nous au premier chef les jeunes immigrés majoritairement de tradition musulmane. C'est également l'hyper-puissance économique, politique, culturelle, militaire, financière, technologique de l'occident, utilisée jusque dans les plus salles "combines"  pour conserver ses intérêts et avantages en ne prêtant qu'une attention de façade aux protestations des populations malmenées et tenues à l'écart du banquet, qui ne laisse plus que la voie du "cutter" (attentats du 11 septembre) ou de la ceinture d'explosif pour que s'exprime la frustration des laissés-pour-compte. Ainsi l'islam et sa tradition guerrière, aussi archaïque et outrancière soit-elle, apparaît-il aujourd'hui comme la seule force qui s'oppose à l'hyper-puissance occidentale. Sa rigidité morale offre un repère qui contre balance l'amoralité de bien des conduites occidentales et rassemble une part des immenses frustrations générées par le libéralisme sauvage.
Conflit Chiites – Sunnites
Les chiites sont les partisans du califat d'Ali qui appartient à la famille du prophète mais qui ayant une approche plus religieuse de la succession a été mis en faiblesse par rapport aux candidats plus politiques qui ont mené des guerres conquérantes brutales et imposé la dynastie des Omeyades, verrouillant la succession en instituant la filiation comme voie de désignation du Calife. La mort d'Hussein, fils d'Ali, dans un dernier combat pour tenter de défendre la légitimité des chiites au califat est encore célébrée de nos jours et alimente cette culture "d'éternels persécutés" propre à cette communauté.
Et bien que les chiites représentent moins de 10% des musulmans de la planète, leur conflit avec les sunnites alimentent  fortement les tensions internes du monde arabe. C'est d'abord l'Iran, chiite à 90% qui défend partout où cela est possible la place de sa communauté dans un conflit d'influence radicalisé avec l'Arabie Saoudite sunnite. Des luttes d'influences extrêmement complexes qui mêlent communautarisme religieux et ambitions politiques sur fond de manne pétrolière, et mettent à feu et à sang l'Irak où les chiites qui représentent 60% de la population ont longtemps été écartés du pouvoir, la Syrie où le clan Assad qui appartient à une branche dissidente des chiites impose son pouvoir dictatoriale à une population à 83% sunnite.
 L'Indonésie : exemple d'islam apaisé ?
Il est intéressant pour conclure ce rapide tour d'horizon d'observer l'Indonésie, plus grand pays musulman du monde,  qui malgré quelques tensions récurrentes alimentées par les partisans d'un islam radical, offre un exemple de pratiques inter communautaires plus tolérantes que l'on doit à la fois aux principes politiques du pays d'ouverture à l'humanisme et à la démocratie, ainsi qu'à la séparation entre politique et religieux puisque malgré la très forte domination (88%) de la population musulmane il n'y a pas de religion d'état et que six religions sont autorisées. C'est aussi le poids dominant d'un islam "traditionnel" ancré dans la vie des campagnes qui contribue à cette situation "apaisée" qui pourrait être en lien avec l'origine pacifique de son arrivée et de sa propagation sur le territoire indonésien.

Au final de ce bref balayage se forge l'image d'un monde musulman enfermé dans un "livre socle" dont le contenu a été considérablement contrôlé,  amendé, verrouillé par un pouvoir bien plus politique et guerrier que religieux. Et qu'il serait temps que s'ouvre à partir des textes anciens récemment retrouvés  une exégèse ambitieuse, débarrassée des pressions des pouvoirs politiques empêtrés dans des querelles et "guerres de religions" meurtrières aussi archaïques que vaines. Sans doute faudra t'il encore du temps, beaucoup de temps, pour que s'apaisent les frustrations de populations musulmanes longuement humiliées et maltraitées par le joug colonial et la morgue de la domination économique occidentale, et dont la politique Israélienne cristallise prolonge et démultiplie les effets, et pour que les progrès de la démocratie et d'un mieux être économique "désamorcent"  les tensions et contribuent à l'émergence d'une vraie pensée de sagesse.

Ici comme ailleurs s'illustre l'incontournable chemin d'individuation qui, pour les peuples, les communautés, comme pour les individus, passe d'abord par l'acquisition de la liberté "d'être ce que l'on est" (fin des dominations oppressives extérieures) puis par un long et difficile apprentissage de l'usage de la liberté, qui souvent confisquée dans un premier temps par quelques ambitieux autocrates, évolue au fil des exigences et pressions des populations vers un partage plus large des pouvoirs et richesses. Il est a remarqué pour conclure que la place faite aux femmes est souvent un indicateur pertinent pour discerner le degré de maturité d'une société sur ce chemin là, et que si les sociétés musulmanes ont ici quelques retards sur nous, regardons les avec toute l'indulgence qu'impose le vaste chemin qu'il nous reste, nous aussi, à parcourir dans cette voie là.

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